Philippe Weisbecker - Élémentaire

Philippe Weisbecker - Élémentaire

Yvon Lambert et Ève Lambert sont heureux d’annoncer l’exposition «Élémentaire» de Philippe Weisbecker.

Vernissage samedi 14 avril de 18h à 20h
Exposition du 15 avril au 27 mai 2018

  Né en 1942, Philippe Weisbecker a vécu en France jusqu’en 1966. De 1966 à 1968, diplômé de l’Ensad, il part en Tunisie au titre de la coopération militaire, en tant que graphiste auprès du Commissariat au Tourisme Tunisien. En 1968, il part aux États-Unis puis revient en 1975 et enseigne à l’Ensad jusqu’en 1979.
Cette année-là, il retourne s’installer à New York de façon permanente et y travaille comme illustrateur pour la presse et l’édition (The New Yorker, Newsweek, The Village Voice, Esquire, New York Times…). De retour en Europe en 2006, il développe un travail personnel, désormais libéré de la commande. Admiré et abondamment publié au Japon, bien connu des lecteurs américains, Philippe Weisbecker demeure étrangement méconnu en France.

  Dans ses séries de dessins, peintures et volumes, dans de vieux cahiers d’écolier ou sur des papiers récupérés, il explore ses sujets de prédilection : architectures, objets, vêtements, véhicules… La beauté de l’ordinaire, l’intelligence des formes usuelles, sont ici considérées d’un œil nouveau et ramenées à leur plus grande simplicité graphique.

Les outils, les ustensiles de ménage, les articles de quincaillerie, les machines, les usines, les matériaux de construction ne sont plus regardés qu’en fonction de leur utilité. Ils doivent être pratiques avant d’être beaux. Et pourtant il se dégage d’eux une beauté brute, essentielle, que j’aime exalter.
En dessinant un tuyau, un lavabo ou encore une vis, j’essaie d’appréhender avec la même passion que je le ferais pour un paysage ou portrait, la noblesse, le charme, la beauté de ces “ choses ”. Leur place sur des cimaises me semble tout aussi légitime que celle de sujets plus “ nobles ”.
Ces objets devenus anodins à force de les avoir utilisés et réutilisés m’ont toujours fascinés. Ils font tellement partie de notre vie quotidienne que l’on n’a jamais eu le mauvais goût de les remodeler au gré des modes. C’est dans leur simplicité et dans leur spécificité qu’ils m’attirent.
    
Philippe Weisbecker

Élémentaire, bien évidemment. Car tout le travail de Philippe Weisbecker est une recherche de l’essentiel des sujets qu’il dessine. Son trait est net, il ramène la forme à son évidence, la représentation est quasiment schématique.
Pourtant, cette simplicité vibre et, loin d’être froid et distancié, son regard est au contraire au plus près des objets représentés. On perçoit une attention, une humilité, et un plaisir à retranscrire honnêtement le réel le plus ordinaire, celui de sa cuisine, de son atelier ou des rayons de la quincaillerie du quartier. C’est dans cette tension entre épure et sensible que pourrait se glisser l’autre image qui traverse notre esprit à l’évocation du mot « élémentaire » : l’école.
Ses cahiers à marge, ses cours de sciences naturelles et de géométrie. Le lieu d’une recherche de l’exactitude, mais aussi celui de l’enfance et de sa sincérité.
Si l’on creusait un peu plus ce mot, on y trouverait également sa racine : « élément ». Et ici, on pourrait dire que cette exposition est en effet un ensemble d’éléments qui s’additionnent, s’articulent et qui forment un tout. À la manière d’un catalogue de grand magasin, on y trouve le nécessaire pour la maison et le confort domestique : semelles, lits, ampoules, sous-vêtements, appareils photo, tuyaux, réchauds… agrémentés de vues plus distantes d’usines et bâtiments industriels (les mêmes qui ont enfanté tout ces objets ?). Un monde en soi, celui de notre quotidien. Quelques séries nous renseignent également sur sa biographie (comme Nikko Street, dessinée lors d’un de ses fréquents déplacements au Japon, ou New York Trucks, tout premier cahier personnel réalisé en 1997, dans une ville où il a vécu une trentaine d’années).

En magasinier bien organisé, dans ses dessins, Philippe Weisbecker procède par série. Souvent, le format du cahier, chiné aux puces, lui donne l’échelle de sa recherche : s’il fait 64 pages, alors la série se composera de 64 dessins au maximum, et de 32 au minimum (selon qu’ils occuperont une simple ou double page).

Parfois, sur papier libre, il se libère de cette contrainte mais en vient à numéroter ses dessins, pour les classer, les enregistrer et ainsi donner à chacun le statut de fragment d’un plus grand ensemble.

Élémentaire se présente ainsi comme un inventaire de fragments : plus ou moins complètes, les séries présentées ne sont que quelques-unes parmi les innombrables réalisées par Philippe Weisbecker au cours de ces vingt dernières années. De quoi, tout de même, donner un bel aperçu de cette œuvre singulière et inclassable.

Quelques fragments de plus : des bouts de parole de Philippe Weisbecker glanés ici et là.

Enfance.
« À bien y réfléchir, ce sont souvent des objets que j’ai côtoyés, croisés, convoités dans mon enfance et qui me reviennent soudain à l’esprit, dans la rue, une boutique, un livre, chez des amis. Alors me prend l’envie de les documenter, les répertorier et les dessiner. Le vieux cahier d’écolier, le vieux registre, ce sont également des objets de mon enfance. Sans y réfléchir, il a dû me sembler naturel d’y dessiner les objets de ma mémoire. »

Appliances.
« Il y avait chez mes grand-parents une superbe cuisinière. Elle était recouverte d’un émail moucheté noir et blanc, aussi beau à mes yeux que la surface brillante d’une tranche de fromage de tête. De là, sans doute, mon affection pour les étoffes chinées.»

Tool Book.
« J’aime les vieux catalogues de quincaillerie. Ils regorgent de minuscules gravures. Je les découpe soigneusement, les colle délicatement dans chacune des cases d’un petit classeur et, celle que je préfère, je la recopie tranquillement sur la page blanche. Un vrai bonheur ! »

Règle.
« Je ne suis pas vraiment intéressé par le dessin en tant que tel. Pour moi, le crayon est un simple instrument qui me permet de rendre hommage aux choses ordinaires, à ce qui est généralement perçu comme trivial ou obsolète. Avec le même respect, je choisis de dessiner à la règle. Dessiner à main levée crée un trait trop personnel qui pourrait interférer dans la relation entre le spectateur
et le sujet représenté.

Sciences.
« Adolescent, j’étais plutôt nul en sciences. Les expériences réalisées en classe de physique tenaient plus pour moi de la magie que de l’explication de choses. J’étais d’autant plus impressionné que je n’y comprenais rien. Je n’ai guère dû faire de progrès puisque, quelques 50 ans plus tard, cette magie opère toujours sur moi. »

Adirondacks.
(livre publié par Fotokino et Nieves à l’occasion de l’exposition à Marseille en décembre 2017)
« J’ai toujours aimé les meubles rustiques, fabriqués à partir de souches, de branches ou de morceaux de bois. Au départ je voulais reproduire fidèlement les meubles figurant dans le livre. Très vite, je me suis aperçu que j’étais surtout intéressé par le squelette de ces meubles, leur structures et les vecteurs de force qui les régissent. Petit à petit, j’en suis même venu à me libérer de ces paramètres pour en arriver à des compositions structurelles plus simples, à mi-chemin entre figuration et abstraction ».

Évolution.
« Éliminer les détails superflus, pénétrer le cœur des objets, voilà ce qui retient de plus en plus mon attention. Curieusement, le papier quadrillé, la vieille feuille jaunie font place progressivement au papier blanc. C’est peut-être parce que l’objet devenant plus intemporel, le papier le devient aussi. Cependant, j’éprouve encore le besoin de salir un peu mon papier blanc sur les bords. Ma mémoire devenant de plus en plus courte, je ne désespère pas que le passé rattrape le présent et que je finisse par dessiner des abstractions sur du papier blanc. »

(NDLR : ce brin de texte datant de 2011, nous confirmons : aujourd’hui, Philippe Weisbecker dessine des abstractions sur papier blanc).

Texte de Vincent Tuset-Anrès (Fotokino, Marseille).
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